Michel Eyquem de Montaigne

                (Saint-Michel-de-Montaigne,28 février 1533 – 13 septembre 1592). 

Michel Eyquem de Montaigne, issu d’une famille de notables de la région de Bordeaux, est une des figures majeures de l’humanisme et de la renaissance. Son oeuvre principale, Les essais est une collection de réflexions introspectives sur son époque, ses contemporains et la nature humaine. Dans le texte suivant, Montaigne se questionne sur le thème de l’amitié et de ses mécanismes en illustrant son propos de sa propre expérience de l’amitié avec le poète Étienne de La Boétie.

“Parce que c’était lui, parce que c’était moi”

Michel Eyquem de Montaigne, from a family of nobility from the Bordeaux region, is one of the major figures of humanism and renaissance. His main work, The Essays is a collection of introspective reflections on his time, his contemporaries and human nature. In the following text, Montaigne questions the theme of friendship and its mechanisms by illustrating his words of his own experience of friendship with the poet Étienne de La Boétie.

“because it was he, because it was I”

Michel Eyquem de Montaigne, joka on kuuluisa Bordeaux’n alueen merkittävien perheestä, on yksi humanismin ja renessanssin päähahmoista. Hänen pääteoksensa, Esseitä, on kokoelma introspektiivisia pohdintoja ajasta, hänen aikalaisistaan ​​ja ihmisluonnosta. Seuraavassa tekstissä Montaigne kyseenalaistaa ystävyyden teemaa ja sen mekanismeja valaisemalla sanoja omasta ystävyyskokemuksestaan ​​runoilijan Étienne de La Boétien kanssa.

 “Koska se oli hän, koska se olin minä” 

De l’amitié

Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu’accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s’entretiennent. En l’amitié de quoi je parle, elles se mêlent et confondent l’une en l’autre, d’un mélange si universel qu’elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer, qu’en répondant : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. »
Il y a, au-delà de tout mon discours, et de ce que j’en puis dire particulièrement, ne sais quelle force inexplicable et fatale, médiatrice de cette union. Nous nous cherchions avant que de nous être vus, et par des rapports que nous oyions l’un de l’autre, qui faisaient en notre affection plus d’effort que ne porte la raison des rapports, je crois par quelque ordonnance du ciel ; nous nous embrassions par nos noms. Et à notre première rencontre, qui fut par hasard en une grande fête et compagnie de ville, nous nous trouvâmes si pris, si connus, si obligés entre nous, que rien dès lors ne nous fut si proche que l’un à l’autre. Il écrivit une satire latine excellente, qui est publiée, par laquelle il excuse et explique la précipitation de notre intelligence, si promptement parvenue à sa perfection. Ayant si peu à durer, et ayant si tard commencé, car nous étions tous deux hommes faits, et lui plus de quelques années, elle n’avait point à perdre de temps et à se régler au patron des amitiés molles et régulières, auxquelles il faut tant de précautions de longue et préalable conversation. Celle-ci n’a point d’autre idée que d’elle-même, et ne se peut rapporter qu’à soi. Ce n’est pas une spéciale considération, ni deux, ni trois, ni quatre, ni mille : c’est je ne sais quelle quintessence de tout ce mélange, qui ayant saisi toute ma volonté, l’amena se plonger et se perdre dans la sienne ; qui, ayant saisi toute sa volonté, l’amena se plonger et se perdre en la mienne, d’une faim, d’une concurrence pareille. Je dis perdre, à la vérité, ne nous réservant rien qui nous fût propre, ni qui fût ou sien, ou mien.

Les Essais, livre Ier, chapitre XXVIII – 1580

 

Texte intégral : http://bribes.org/trismegiste/montable.htm

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